L’architecture-sculpture, ou l'habitation vivante
Entre les constructions écologiques manuelles en terre crue, les maisons-bulle en béton et les grottes creusées à même la roche, l’intérêt pour l’architecture-sculpture revient sur le devant de la scène. Un courant architectural comme une « nouvelle naturalité » dira Jacques Couëlle. Une envie d’unicité mais aussi d’intimité, de chaleur et de rondeur réconfortante.
Dans ces habitations sculptées, la surface intérieure est structurée par le mobilier et les aires de circulation. La recherche de formes pratiques conduit à l’élimination des angles et à la conception d’espaces centrés favorables à la vie de groupe. L’extérieur est la traduction de l’intérieur. Les trouées de lumière et de vue nous mettent en position d’observateur protégé et naturellement tourné vers l’extérieur. Comme dans tout espace délimité par des courbes, chaque déplacement entraîne une modification de perspective, ce qui contribue à créer une impression de variété inépuisable.
Cet attrait pour les courbes et les voutes trouve son origine dans les constructions traditionnelles (huttes, cases, grottes) qui résonnent avec de nombreux courants architecturaux anciens ou contemporains. Un système constructif monolithique qui date des temps préhistoriques. En sont témoins, en Afghanistan, les plus vieilles structures faites par la main de l’homme par un mélange de pisé et cob. En Afrique, au Ghana, fleurissent de belles habitations en terre peintes à la main ou en Afrique du nord. En Europe, en Grèce bien sûr, pour les intérieurs comme sculptés dans la masse, mais aussi dans des pays comme le Royaume Uni ou la France, notamment dans le Finistère, des maisons en cob (ou bauge) sont encore aujourd’hui sur pied. Sur la côte ouest des Etats Unis et du Canada, l’auto-construction en terre est très en vogue.
La mode de l’architecture-sculpture a eu son heure de gloire dans les années 60. Les Maisons-bulle s’inscrivent dans cette vogue et sont en rupture directe avec le fonctionnalisme triomphant de l’après-guerre qui ne jurait alors que par l’angle droit. Des architectes et des artistes mènent alors des recherches sur le voile de béton projeté sur un certain type de ferraillage ou de ciment armé de fibres, offrant une immense liberté d’expression et une souplesse tant formelle que technique. Influencés par Antoni Gaudí ou Frederick Kiesler, inspirés par la nature, ils se tournent vers la création de volumes organiques ovoïdes. Leur choix pour les structures en forme de bulles sera à la fois économique, esthétique et pratique. Sculpter des murs et des plafonds à l’aide de béton ou de stuc pour créer un tout autre type de cadre social intime, et miser sur le fait d’avoir un maximum de mobilier intégré avec la structure et l’architecture de la maison est une des priorité des architectes. C’est un corpus fascinant et souvent méconnu révélé à travers les travaux de Pascal Häusermann et Claude Costy, Jean-Louis Chanéac, Jacques Couëlle et son fils Savin, Antti Lovag, Henri Mouette et Pierre Székely, Daniel Grataloup.
Jacques & Savin Couëlle
Antti Lovag dira: « L’architecture ne m’intéresse pas. C’est l’homme, l’espace humain, qui m’intéressent ; créer une enveloppe autour des besoins de l’homme. Je travaille comme un tailleur, je fais des enveloppes sur mesure. Des enveloppes déformables à volonté. » Il définit le jeu “habitalogique” par différents assemblages possibles de formes, variant en fonction du site d’implantation et des aspirations de l’habitant. « Ce n’est donc plus le dessin préalable qui mène à la construction, mais la “valeur d’usage” de la maison et du mobilier. Il s’agit d’un nouveau baroquisme » écrit M. Ragon, historien de l’architecture.
Pourtant ces habitations, d’un anti-conformisme architectural radical, ne s’adressent quasiment qu’à une clientèle aisée voire richissime, dont notamment Pierre Cardin, propriétaire d'un magnifique palais-bulle.
Henri Mouette & Pierre Szekely
Pascal Hausermann
Palais Bulles (Antti Lovag)
Daniel Grataloup
C'est ainsi que Joêl Unal, avec des moyens financiers limités, sur la base des principes constructifs lovagiens et du même style architectural, s'appliqua à auto-construire sa demeure.
Les maisons d'Antti Lovag et celle de la famille Unal sont aujourd'hui inscrites au patrimoine mais avant cette reconnaissance ministérielle, les permis de construire auront été bien difficiles à obtenir (pas de permis pour les maisons de Lovag, selon la légende!).
Dans un autre esprit mais toujours dans cette veine architecturale, javier Senosiain architecte mexicain, a créé des habitations organiques qui explorent l'habitation-caverne, l'architecture-sculpture avec une poésie presque enfantine.
La célèbre famille télévisuelle Barbapapa, s'est largement inspirée de l'architecture de Hausermann, Lovag, Chanéacet Couëlle. Une véritable critique contre l'architecture conventionnelle des HLM, faite par les auteurs dont Annette Tyson, par ailleurs architecte de formation.
"L'harmonie est davantage dans la nature, souveraine, que dans les angles droits et les surfaces lisses dictées par l'homme." Jacques Couelle
Clémentine Gault
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour cet article passionnant que je découvre bien longtemps après sa publication. Je rêve maintenant d'un beau livre qui présenterait ces différentes villas incroyables avec toutes ces magnifiques photographies et des détails historiques sur leurs constructions et leurs architectes géniaux. Mais peut-être existe t'il déjà ? Si oui, pourriez-vous m'indiquer ses références ? Si non, pourquoi ne pas le faire vous, ce beau livre ? Ça serait fantastique !
Merci,
Julien