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MONDRIAN, FIGURATIVE PAINTER

Mondrian, les débuts figuratifs, ou le cheminement vers l'abstraction


"Mondrian figuratif" est à l'honneur du Musée Marmottan-Monet, à Paris, du 12 septembre 2019 au 26 janvier 2020.

Grand Paysage (vers fin 1907-1908)


À deux pas du Jardin du Ranelagh, à Paris, le musée Marmottan Monet -musée de collectionneurs ayant pour vocation d’apporter un éclairage sur le rôle des amateurs dans la vie des arts- a noué un partenariat exceptionnel avec le Kunstmuseum de La Haye pour organiser une exposition totalement inédite rendant hommage à la peinture figurative de Piet Mondrian (1872-1944) et à Salomon Slijper (1884-1971), à travers la présentation de peintures et de dessins majeurs provenant exclusivement de la collection de l’amateur. 





De Mondrian, on connaît surtout les formes abstraites, les compositions géométriques faites de couleurs primaires, bleu, rouge, jaune, noir et blanc, alors que ce dernier n’a pas toujours été abstrait. Loin de là. Il a même été un peintre figuratif incroyable. Le parcours d’exposition s'intéresse ainsi à l'œuvre figurative de cet artiste placé au rang des premiers coloristes de son temps et des grands maîtres de la peinture figurative du XXe siècle. Mais le vrai coup d’éclat de cette exposition n’est pas de nous faire découvrir une facette nouvelle de l’artiste, celle d’un peintre académique hors-pair. Non. Ce que l’on découvre ici, c’est d’où vient cette abstraction inimitable qui fait désormais sa signature dans le monde entier.



67 œuvres sélectionnées par Mondrian lui-même vers 1920, pour Salomon B. Sliiper, sont présentées ici. La moitié de ces toiles n’a jamais été exposée en France, et certaines ne le seront plus jamais : comme le Moulin dans la clarté du soleil (1908), en raison de sa fragilité, ne quittera, par exemple, plus le Kunstmuseum après cet ultime voyage.

Piet Mondrian, "Moulin dans la clarté du soleil", 1908.©Kunstmuseum Den Haag,The Hague, the Netherlands


Mondrian

Pieter Cornelis Mondrian naît en 1872 à Amersfoort, dans la province d’Utrecht aux Pays-Bas, fils d’un instituteur calviniste très austère. Fut un temps, Pieter se voyait prédicateur, mais il aime l’art, la peinture, le dessin, et s’inscrit, contre la volonté paternelle, à l’Académie des Beaux Arts d’Amsterdam (ville très conservatrice à l’époque) où il reçoit une formation plutôt classique, orientée vers des travaux d’après modèles. C’est un garçon sérieux, appliqué, attentif qui se fait très vite remarquer. Il peint alors des natures mortes, des portraits, copie les grands Maîtres, fait des dessins pour illustrer des livres, donne des leçons... Mais il réalise aussi des petits paysages intimistes qui sont, en fait, des sortes d’expérimentations sur ses ressentis intérieurs. Il restera à l’Académie cinq ans (1892/97).




Salomon B. Slijper

Réfugié aux Pays-Bas durant la Première Guerre mondiale, Salomon B. Slijper, fils de diamantaire fortuné, se lie d’amitié avec le peintre Mondrian, dont il deviendra rapidement le plus grand collectionneur. En 1915, l'artiste sans le sou, qui survit en faisant des copies d'oeuvres au Rijksmuseum, partage avec l’amateur un goût prononcé pour la bonne chère, les vêtements élégants et les jolies femmes. Sliiper acquiert sans compter les toiles de l'artiste, parfois en échange d'un costume. 
En 1919, alors que Mondrian peine à joindre les deux bouts, son collectionneur attitré lui achète, sans les voir, tous les tableaux restés dans son atelier parisien de Montparnasse, quitté à l'été 1914. Le montant de la vente - 1000 florins (6000 euros actuels) -, ce qui permet au peintre de regagner Paris, en 1919, pour y poursuivre ses travaux. Au total, ce sont 180 peintures et dessins réunis par l’amateur, qui les conserve pendant une longue période, au fond de sa cave. "Chez toi, dans cette ferme, elles risquent d'être attaquées par des moisissures", s'inquiète Mondrian dans une lettre. A tort, car c'est un ensemble intact que le collectionneur donne, à sa mort en 1971, au Kunstmuseum, faisant de l'institution le dépositaire du premier fond mondial d'oeuvres de Piet Mondrian. 






Les débuts

L’exposition est organisée de façon chronologique, permettant d’observer l’évolution de la peinture de Mondrian. 
D’emblée, nous sommes accueillis par sa célèbre toile Composition N°IV (voir plus bas). Pas dépaysés donc. Mais face à elle, une peinture étonnamment figurative… Le Lièvre Mort (1891), nature morte au rendu très réaliste, pour la première fois exposée en France, composée par Mondrian à l'âge de 19 ans. Elle reste, au sein de la collection Slijper, son oeuvre connue la plus ancienne. Le jeune artiste y montre une virtuosité précoce, inscrite dans la tradition de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. L'année suivante, Piet quitte la maison familiale d'Amersfoort pour rentrer à l'Académie royale d'Amsterdam. 

Lièvre mort (1891)


Le choix de la couleur

En 1907, Mondrian a une révélation qui changera le sens de sa peinture. Il considère alors que "les couleurs de la nature ne peuvent être imitées sur la toile". Sa nouvelle ligne de conduite : abandonner la couleur naturelle au profit de la couleur pure. C'est décidé, adieu les tonalités tièdes, il ose les contrastes et le choc des couleurs, car c’est là qu’est la vie. Et l’artiste continuera à trancher encore et toujours davantage ses couleurs, comme dans Moulin dans le crépuscule (1907-1908) ou dans son Bois près d’Oele (1908). Crescendo donc. 

Moulin dans le crépuscule (1907-08)


Bois près d’Oele (1908)


On peut ensuite admirer le Moulin (1911) éclatant sur un fond bleu vif et électrique. On notera cependant qu’à côté de ces moulins éclatants, des fermes sont représentées dans une palette brumeuse et froide… Un aspect de la palette cubiste qui fait son apparition?


Moulin (1911) 


Maison (1898-1900)


 La Ferme Geinrust dans la brume (vers 1906-1907)


Ferme près de Duivendrecht  (vers 1916)



La tradition

Salomon B. Slijper s’intéresse donc en particulier à un aspect aujourd’hui méconnu de son œuvre : les peintures figuratives. Des toiles qui montrent que le peintre s’inscrit parfaitement, au début de sa carrière, dans l’école de La Haye ou celle de Barbizon, avec cependant une forte approche intellectuelle et spirituelle... Le choix des sujets est classique, avec de nombreux paysages, des moulins, des fermes, des fleurs, assez réalistes finalement, mais presque en retard par rapport aux Impressionnistes français – nous sommes près de 20 ans plus tard – ou aux œuvres torturées de Van Gogh… 


Bosquet de saules sur le Gein (1902-1904)



Pâturage avec vaches (1902-1905)


Champ avec arbres au crépuscule, 1907


Paysage avec deux vaches



Pourtant, si l'adepte du néoplasticisme se jette dans le bain de l'abstraction à l'orée de la Grande Guerre, il continuera, en parallèle, à s'adonner à la figuration, jusqu'à... ses 50 ans. "Il n'a jamais opposé les deux genres et peut, la même année, peindre un moulin d'un rouge éclatant sur un bleu nuit dérangeant, et une peinture cubiste avec des camaïeux de gris où la couleur est mise entre parenthèses", souligne Marianne Mathieu, commissaire de l'exposition. Rituel immuable: il peint chaque matin, et ce tout au long de sa vie, une fleur, "à la manière d'un musicien qui commence sa journée en faisant ses gammes". 







 Chysanthème dans une bouteille (1917)  Aquarelle 



Rose dans un verre (Après 1921). Aquarelle, crayon et encre à pochoir




Mondrian théosophe

 Mondrian se passionne pour la quête de vérité universelle et les recherches ésotériques menées au sein de la Société théosophique d'Amsterdam, fondée en 1875, qu'il rejoint en 1909. Cette dernière s’appuie sur les religions orientales, la philosophie et la science dans le but d’atteindre la vérité inhérente à toute chose. Particulièrement animé par ces principes, Mondrian adopte un comportement qui frappe son entourage, celui-ci décrivant, non sans ironie « ce dingue de Mondrian dans la position du Bouddha au beau milieu de la plage » (Charley Toorop).

Il est possible que son changement d’apparence soit lié à la théosophie. Il fait sien le genre bohème : il se fait pousser la barbe et porte un collier de perles ainsi que des chemises froissées aux manches retroussées.

Ces saisissants autoportraits au fusain, dans lesquels Mondrian se concentre sur son visage, datent de cette période. Cerné de noir, sa face semble flotter, telle une apparition. Le cadrage est serré : l’un enserre rigoureusement le visage, l’autre ne donne à voir que son regard perçant et habité. Ces effigies annoncent son oeuvre symbolique. 




Autoportrait (1908)  Fusain et crayon noir




Le luminisme

Mondrian s'intéresse aux courants symboliste, divisionniste et fauve, peu diffusés aux Pays-Bas. Il les interprète à sa manière sur la toile pour se rapprocher du concept théosophique en hissant la profusion de lumière au rang de sujet. Ce "luminisme" se retrouve dans la fillette en prière à la flamboyante chevelure rousse de Dévotion (qui n’est pas sans rappeler le travail de Van Gogh) comme enveloppée d'un halo surnaturel, qui illustre à merveille les propos de Marianne Mathieu: "Le rayonnement est l'élément clé de la recherche de Mondrian." 


Dévotion (1908)



Portrait d’une jeune fille (1908)


Tournesol mourant I (1908)



 Arum, fleur bleue (1908-1909)




Le cubisme en question

Vers 1910, Mondrian découvre le cubisme en parcourant des comptes-rendus d’expositions. Il n’a pas encore vu l’oeuvre de ces peintres, pourtant leur influence est immédiate. Le Néerlandais interprète librement ses lectures. Ainsi, s'il reste figuratif, ses formes évoluent. Elles sont plus simples, géométriques et monumentales, comme en témoignent deux des plus grandes toiles qu’il ait jamais exécutées : Clocher en Zélande et Moulin. Les couleurs – toujours vives, contrastées et posées en aplat – tracent à présent des formes angulaires qui animent l’arrière plan de ses tableaux.
En 1911, il est enfin confronté aux œuvres de Braque et de Picasso, à Amsterdam d’abord puis à Paris où il séjourne pour la première fois. À quarante ans il aborde un tournant majeur. C’est le début de l’abstraction. À l’exemple des français, il adopte leur palette d’ocres gris et renonce un temps aux couleurs éclatantes. Les formes se fragmentent et se géométrisent. Toutefois, Mondrian s’inspire toujours du réel et ses motifs restent identifiables. Ainsi, l’arbre s’impose – à côté de rares figures et de paysages – comme son motif de prédilection.


Clocher en Zélande (1911)



Arbre gris (1911)


 Autoportrait (1913). Fusain sur papier


Portrait d'une dame (1912)


Composition ovale en plan de couleurs 2 (1914)


Composition n°IV (1914)



Vers le Néo-plasticisme

En 1919, Mondrian exécute ses premières oeuvres purement abstraites. Ces peintures ne s’enracinent plus dans le réel : ni l’arbre, ni la façade n’offre un point de départ à son travail. La démarche du peintre est uniquement spirituelle.
Sur des toiles au format proche du carré, il trace des damiers colorés. Le rythme et le rayonnement émanant des lignes et des couleurs définissent un vocabulaire pictural nouveau - le néoplasticisme - dont l’objectif est de révéler « la beauté absolue », « l’essence de toutes choses », un principe auquel l’artiste est attaché depuis ses débuts. À ce stade de sa carrière, Mondrian a formalisé la théorie qui l’élève aujourd’hui au rang de père de l’abstraction. Pour autant, lorsqu’il entreprend son autoportrait en 1918, il ne fait pas voler son image en éclats. Il reste fidèle à la tradition naturaliste et au genre établi du portrait d’artiste posant en buste devant l’une de ses toiles en damier. Mondrian peint la rencontre de la figuration et de l’abstraction.


Autoportrait (1918)


Composition avec large plan rouge, jaune, noir, gris et bleu (1921)




Mondrian nous est apparu dans toute son œuvre – l’ambivalence du figuratif et de l’abstrait. Le premier pour en vivre et le second, son art de prédilection. 

Quand on pense que les historiens de l'art de l'époque mettaient au purgatoire cette production jugée indigne! Courez-y!

C. Gault




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