TENDANCES FOODING
La cuisine à l’état sauvage
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Noma |
REVENIR AUX ORIGINES
Revenir à soi. Aux essentiels, aux origines, à travers la cuisine. « Faire » la cuisine.
Une tendance forte, incarnation renouvelée de la naturalité, réconciliant raison et émotion, vie citadine et osmose avec les éléments.
Sans vouloir flirter avec les lieux communs qui disent qu’à toute chose malheur est bon, j’ose dire que la crise sanitaire, économique, existentielle que nous vivons en ce printemps 2020, nous pousse à repenser la vie de demain d’une autre manière, et notamment la façon dont nous nous alimentons et comment nous le faisons.
LA QUÊTE SAUVAGE
Revenir aux fondamentaux, se reconnecter à des intuitions et à des traditions présentes en nous depuis la nuit des temps sont les préceptes à l’origine d’un renouveau créatif, fondé sur l’authenticité et l’envie de faire avec les essentiels de la nature. Un besoin d’aller au coeur des préoccupations humaines, avec un mode de vie plus conscient, davantage centré sur les savoir-faire, sur la re-connexion aux éléments. Le désir de renouer avec l’art de la main est l’occasion de trouver des manières inédites de faire, qui sont souvent très anciennes, voire archaïques.
Déjà dans l’air du temps, le « Raw cooking », l’intérêt grandissant pour la cuisine ancestrale, pour le savoir-faire primitif, ou encore l’attrait du goût originel, fait désormais furieusement écho avec cette prise de conscience. Une sorte de quête sauvage, ou un « ré-ensauvagement », s’empare des cuisines professionnelles ou particulières.
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Pujol |
Ce scénario apparaît, pour une frange émergente de créatifs de la cuisine, comme une démarche pleine d’espoir et d’ingéniosité, s’ouvrant aussi sur une nouvelle alliance entre passé et présent, dans un télescopage entre tradition et innovation: les nouvelles technologies éco-friendly et respectueuses de la vie animale pour une alliance vertueuse avec notre environnement. L’attention portée aux produits, aux techniques de préparations saines et la recherche constante du goût constituent les bases de cette "nouvelle ancienne cuisine".
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luisa Kimbri Farm |
Raconter la Nature dans l'assiette: Les Créateurs
Les établissements qui pratiquent la raw food, les éco-tables, les « fumeries » intégrées, les labo de fermentations, les cuisines zéro-déchet explosent un peu partout à travers le monde.
Je n’en citerai quelques uns…
Tout d’abord, on ne peut parler de la cuisine « nature » sans évoquer Michel Bras qui a mis à l’honneur le légume de saison dans toute ses variantes. « Il a porté le terme de frugalité à son paroxysme en étant le précurseur d’un mouvement qui lie le jardin à la cuisine » indique cet autre chef Pierre Gagnaire.
L'influence de la cuisine sauvage nordique
En effet, la cuisine nordique est un des modèles de ce courant. Elle a induit quelques clichés comme le personnel de restaurant vêtu d’un tablier noir ou bleu, paré d’une barbe soignée, le tout dans un décor austère et élémentaire, mais a surtout convié la création d’assiettes bouleversantes de brutalité et de sophistication mêlées. Un moyen simple, presque ascétique, de refuser la table opulente et m’as-tu-vu dont on a trop soupé!
Le Noma à Copenhague
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Équipe du Noma, Copenhague |
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Cuisine du Noma, Copenhague |
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René Redzepi, chef du Noma |
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Restaurant Le Noma |
Ainsi, le chef danois du Noma décompose son année culinaire en 3 saisons: Légumes & végétal, Gibiers & produits de la forêt, puis Fruits & produits de la mer. Pour la seconde saison par exemple, il explique: « Nous servirons tout ce que nous pouvons obtenir après chasse et cueillette: une sarcelle pour 2, une oie pour 4, une patte d’élan, une langue de renne, et bien sûr le canard sauvage (cf. photo ci-dessous).
Le menu de cette saison rendra également hommage à tout ce qui pousse dans la forêt : baies, champignons, noix et toutes les plantes sauvages. » Une cuisine sauvage dont on annonce les plats simplement, sans blablas, en évitant le jargon culinaire et la litanie des ingrédients. Une cuisine qui privilégie les associations inédites (comme le gâteau de plancton à partager auquel s’ajoute une crème glacée à la poire et varech) et les ingrédients méconnus du grand public comme les intestins de poulpe ou les fourmis!
David Zilber, chef et responsable de la « fermentation » au Noma 2.0, permet aux plats de se passer d’assaisonnement tel que le sel ou le piment, en misant sur la culture et la conservation de différentes moisissures, levures et autres bactéries délicieuses (une technique datant de l’époque des Corinthiens, sinon d’avant). Autrement dit, pourquoi ajouter du sel à une chaudrée de palourdes quand on peut la relever d’un coulis de crevettes et de roses sauvages, ou encore pourquoi ne pas pimenter son bouillon de champignons chaud avec un coulis d’écureuil fermenté ? Hein, je vous le demande! Pourquoi?
Le Fumage
De même que la fermentation, le procédé du fumage est ancestral et connaît un regain d'intérêt depuis quelques années dans la restauration.
Tout feu tout flamme, cette technique permet désormais aux chefs de jouer sur les qualités organoleptiques des aliments et de créer de nouvelles associations de saveurs, le fumage jouant sur leur couleur, leurs textures et leur tendreté.
Chez Melt (deux adresses à Paris), la star, c'est le fumoir. Les fondateurs se sont inspirés du barbecue texan et ont investi dans un fumoir en acier, qui possède une chambre à bois que les cuisiniers alimentent en bûches de chêne toute la journée.
Chez Fumé, toujours à Paris, on utilise le chêne pour les viandes et le hickory pour le saumon.
Dans ce cas, la fumaison est dite "à chaud", car les pièces de viande cuisent en même temps qu'elles sont fumées, à une température de 100°C environ. Le processus peut prendre entre 4 et 15 heures en fonction du poids et de la viande choisie. C'est pourquoi de nombreux restaurants spécialisés font cuire leurs plats jusque tard dans la nuit ou tôt le matin. « Toutes les viandes sont fumables, à condition qu'elles aient du gras, afin de leur éviter de sécher. On obtient une texture fondante, d'où le nom Melt, qui évoque la viande fondante en bouche. » Raconte Paul Loiseleur, directeur des restaurants.
Il existe un autre type de fumage, dit "à froid", qui ne doit pas dépasser 28°C, explique Armen Petrossian, de la maison Petrossian, au risque de cuire le produit. Cette méthode est plutôt adaptée aux poissons et aux charcuteries. Depuis les années 1930, la famille Petrossian fume ainsi dans un four en briques du saumon, mais aussi des sardines, et des sprats grâce à un mélange spécial de sciure de bois qui se consume doucement. Avant d'être fumés, les poissons auront été salés puis séchés pendant une douzaine d'heures.
La technique est déclinable à l'infini. Certains s'essaient ainsi également au fumage de fromages : chez Monbleu, fromagerie et restaurant parisien, ou trouve notamment un "petit chèvre fumé" déniché par le célèbre fromager Pierre Gay, à Paris.
Zero waste
Silo, a été le premier établissement « zéro déchet » au monde. Le concept, créé par l’artiste Joostr Bakker en 2011 à Melbourne en Australie, est fondé sur le fait que chaque création culinaire est réalisée entièrement d’après sa forme originelle, sans sur-transformation et en préservant les nutriments et l’intégralité des ingrédients dans le processus d’élaboration. Le restaurant met un point d’honneur à ne servir exclusivement que des produits locaux et de saison. Par ailleurs, tous les aliments y sont livrés sans emballage (mais en seau, cagette, conteneurs réutilisables divers). Les restes des préparations sont mis dans un digesteur aérobie qui produit 60kg de compost par jour partagé ensuite avec les particuliers et les collectivités locales alentours. Ce restaurant a été dupliqué depuis dans la capitale britannique, et à force d'abnégation, son chef Douglas McMaster, a patiemment convaincu ses fournisseurs de modifier leurs pratiques. Ainsi, par exemple, les bouteilles de lait sont reçues dans de gros pots en acier inoxydables.
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Silo, Londres |
Rhodora Wine Bar à Brooklyn, New York, fonctionne avec cette philosophie. Cet idéalisme radical comporte des défis, notamment trouver des producteurs et des distributeurs qui peuvent répondre à des demandes comme celle de l’emballage compostable et trouver des moyens de recycler les appareils électroménagers cassés. « Nous sommes là pour servir les gens », déclare Henry Rich, copropriétaire de Rhodora. « Et il est incongru de prendre soin de quelqu’un, d’essayer de lui faire passer un bon moment, puis jeter les déchets et balancer l’empreinte carbone de cette soirée sur la population. »
Des outils pour mettre en oeuvre leurs efforts de réduction des déchets : une déchiqueteuse en carton pour transformer les boîtes de vin en matériel de compostage, une installation de lave-vaisselle qui convertit le sel en savon, une pellicule de cire d’abeille au lieu de pellicule plastique… Une éco-conscience qui, je l’espère, fera de plus en plus d’émules. Mais déjà une poignée d’entreprises ont pu s’adapter à ces restrictions peu orthodoxes mais nécessaires pour livrer leur marchandise sans déchet non-recyclables (sans plastique, sans aluminium, scotch©). À suivre!
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Compost chez Rhodora |
On peut retrouver ce type de concept "Zéro déchet" chez Nolla à Helsinki, au Sister Café à Bruxelles, ou au Nine Bar à Londres. Ce bar à cocktails qui s’est donné pour mission de ne jeter à la poubelle aucun déchets organiques. Par exemple, les citrons qui ont flotté dans un verre de gin tonic sont notamment récupérés afin d’être distillés pour être transformés en savon ou en liqueur qui serviront dans d’autres boissons.
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Nolla |
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Nine Bar |
La cuisine autarcique
En Emilie Romagne, en Italie, La Casa Spadoni réserve à ses clients une cuisine presque totalement autarcique préparée in situ sous la houlette du chef Marco cavallucci. Les fromages, le pain, les pâtes, la viande… tout vient de cette ferme-hotel-restaurant.
Les Techniques ancestrales
Pujol, à Mexico
Le chef Enrique Olvera du restaurant Pujol à Mexico, dans le quartier chic de Polanco, applique à la lettre son dicton: « Produire de la nouveauté avec de l’existant, superposer les idées, et innover à partir de techniques ancestrales. » Un lieu unique créé en 2000, à la fois moderne et chaleureux désormais en douzième place des des meilleurs restaurants du monde (sur la liste des « World’s 50 Best Restaurants »). Derrière le succès de Pujol et ses six mois de réservations, se cachent des plats bien réfléchis qui conjuguent la tradition culinaire mexicaine, les produits rustiques de saison, les arômes terreux, à une sophistication ultime et des assiettes magnifiquement épurées. Le chef prend même parfois l’initiative de retirer la viande à la carte de ses menus dégustation: un choix audacieux pour une cité résolument carnivore !
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Pujol |
La Raw Food et l'Éco-table
Enfin, lorsque l’on parle de cuisine ancestrale et d’éco-table, comment ne pas évoquer la fameuse Raw food (ou cuisine à cru)!
Assurément, cette dernière, venue tout droit de Californie dont c’est le berceau, répond parfaitement aux tendances sociétales d'éco-responsabilité. Le principe étant de consommer des aliments qui n’ont subi aucune transformation (ou très peu) pour profiter au maximum des bienfaits des nutriments, minéraux et vitamines conservés dans le cru et bénéficier ainsi de toute leur vitalité. La « raw » interdit toutes les cuissons supérieures à 47,8°C un seuil limite à ne pas dépasser au-delà duquel, les vitamines et surtout les enzymes (indispensables à la digestion) présents dans les fruits et légumes auraient tendance à se détruire.
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La Raw Food - Hachette |
On parle de bistronomie crue quand on évoque les établissements comme Raw, en plein quartier du Marais à Paris. Le chef William Pradeleix propose une cuisine tout en fraîcheur, avec des poissons et des viandes peu ou pas du tout caressés par la flamme: tout est dans le respect du produit et la vivacité des assaisonnements.
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Raw |
À Notting Hill, à Londres, Farmacy est un restaurant chic vegan-friendly prône une cuisine inventive dans un décor de chanvre, bambou rehaussé d’or brossé. Une nourriture qui respecte la Terre avec des méthodes d’agriculture biologique et bio-dynamique qui renouent avec le rythme de la nature, faisant de chaque plat une célébration à la fois écologique et délicieuse. Le restaurant a sa propre ferme, établie dans la campagne du Kent: Une parcelle de terre en bio-dynamie certifiée Demeter, où sont cultivés fruits, légumes et herbes, lesquels sont livrés en voiture électrique tous les jours à Notting Hill.
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Ferme de la Farmacy, dans le Kent, Angleterre |
Le bistrot 42 Degrés, rue du faubourg Poissonnière à Paris, associe culture vegan et gastronomie française pour un résultat bio, éthique, naturel et sans gluten. Même si je ne partage pas personnellement ce goût pour la cuisine végétarienne, voire vegan, je conviens d’une expérience culinaire superbe et délicieuse. La maison offre aussi la possibilité d’apprendre à faire cette cuisine dans un atelier dédié: Déshydratation, germination, confection de laits végétaux, cuisson à 42 degrés…
Des notions nouvelles qui peuvent paraitre un brin intimidantes et rébarbatives, mais qui posent en réalité les bases d’une cuisine simple, nutritive et naturelle facile à reproduire chez soi.
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Tartare de légumes de saison de chez 42 Degrés |
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Faire la cuisine chez soi: les gestes retrouvés
L'implication dans l'application
L’intérêt de cette cuisine est avant tout de pouvoir la pratiquer soi-même, chez soi. On décide d'être impliqué. On a désormais une conscience éclairée des dégâts opérés par les modes de production et de distribution de l’alimentation industrielle, ultra-transformée, mais aussi par la nécessité de réguler notre hygiène alimentaire. Les industriels l’ont bien compris et forts de cette responsabilité sociétale, ils usent désormais de leur maturité, certes pour peaufiner leur stratégie, mais surtout pour valider le choix d’un produit sain et durable.
Ainsi, on voit apparaître de plus en plus de propositions d’objets de cuisine, d'ustensiles allant dans ce sens. Retrouver les gestes anciens grâce à des outils simplifiés et durables. Les ustensiles se font simultanément sensoriels et éco-conçus: on s’inspire des anciens, on imagine des manières de faire inédites, peu gourmandes en électricité, douce au toucher et intégrant désormais des pratiques non-polluantes. Une sensualité durable qui prend position pour une philosophie du quotidien repensée autour de l’engagement envers la planète.
Revenir aux fondamentaux que sont la main et les outils rudimentaires… presque à l’état sauvage!
La Terre Cuite
La tendance est au grès. Simple et efficace.
La marmite
Faire des recettes mijotées dans une marmite est un vrai plaisir. Rien n'accroche, les saveurs sont authentiques. La marmite en terre cuite n'est pas un ustensile de cuisson comme les autres. Elle est également idéale aussi pour la conservation des olives car elle régule la température et l’humidité.
Iga-yaki est l’une des céramiques traditionnelles les plus réputées du Japon, originaire d’Iga à la fin du Viie siècle. Nagatani-en, fondée en 1832, est le premier producteur de poteries Iga-yaki et leur Kamado-san a été un best-seller au Japon. Chaque donabe est soigneusement conçu et prend environ 2 semaines à faire. Kamado-san est un cuiseur à riz à double conçu par Nagatani-en.
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Kamado-san
Projet de ceramiques de George Duan
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George Duan |
Chez Tiger entreprise presque centenaire, la culture japonaise instruit le respect des objets et c’est dans cette optique d’authenticité que la cocotte Maho Nabé a fait son entrée sur le marché français, répondant aux exigence de la réglementation européenne REACH. Elle est donc conçue pour être utilisée sur plusieurs générations : si elles s’altèrent au fil du temps, les parties abîmées de la cocotte peuvent être changées indépendamment. Sa technologie à double paroi sous vide permet une montée en température très rapide – entre 96 ° et 100 °C – et une conservation optimale de la chaleur hors du feu permettant ainsi de préserver et de révéler les saveurs naturelles des aliments, et d’économiser de l’énergie.
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Cocotte Tiger |
La céramique de table
La mode est à la céramique artisanale, on le voit de plus en plus sur les tables des chefs. Ainsi, profitons de cet engouement qui se répand un peu partout pour trouver de jolis contenants (voire même de les créer!).
La joie de faire: les ustensiles
Broyer les baies et autres poivres, écraser le gros sel à même la table avec le pilon en pierre du designer Thomas Ballouhey, râper ou presser grossièrement à la main sont des gestes à prendre et à réapprendre.
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Pilon de Thomas Ballouhey |
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Presse agrume en bois de Kibisi pour Muuto |
Après des années d’études de design industriel au Shenkar College en Israël, l’artiste Amalia Shem Tov a produit une série d’ustensiles de cuisine inspirés d’anciens outils culinaires afin d’aider les gens à «redécouvrir leurs racines culinaires primaires.» La collection intitulée "Roots" se compose d'un pilon, d'un mortier, de pierres à cuire et d'une meule, offrant une alternative aux ustensiles en plastique courants faits en série. Retrouver des gestes qui permettent d'être en osmose avec le produit et d'accéder au sentiment d'un travail fait et bien fait.
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Amalia Shem Tov |
Silex: Ami Drach et Dov Ganchrow ont créé une collection d’œuvres intitulées « Man Made » en scannant des silex taillés de la préhistoire et en créant des extensions de préhension en plastique imprimées en 3D qui s’y adaptent.
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Silex Man Made
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Retrouver le goût. Celui de manger bon et sain, celui de faire, de prendre du temps et de célébrer ce que nous offre encore la Terre.
Clémentine Gault
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